A lire : Mostra 2023, le palmarès

Part du lion par Laura Tuillier pour le journal Libération du 10 septembre 2023
Mostra 2023 : lion d’or pour Yorgos Lanthimos, prix du meilleur réalisateur pour Matteo Garrone… Un palmarès qui consacre des bêtes à festivals
Le jury du festival vénitien présidé par Damien Chazelle a privilégié les luxueuses productions internationales samedi 9 septembre, à l’exception du magnifique et frugal «Le mal n’existe pas» de Ryusuke Hamaguchi.
Samedi 9 septembre au soir à Venise, le jury de la Mostra – présidé par Damien Chazelle et composé entre autres de Laura Poitras (lion d’or l’an dernier pour Toute la beauté et le sang versé), Jane Campion et Mia Hansen-Love – a décerné des prix peu surprenants : en attribuant la part du lion à des réalisateurs quadra, bêtes à festivals déjà multiprimés, Damien Chazelle semble avoir privilégié autant de versions de lui-même, une bande de petits prodiges qui n’hésitent pas à envoyer du pâté au risque de l’arnaque auteuriste boursouflée. Au milieu de ces luxueuses productions internationales, réjouissons-nous que le magnifique et frugal Le mal n’existe pas de Ryusuke Hamaguchi trouve sa place au palmarès.
Lion d’or pour Pauvres Créatures de Yorgos Lanthimos
Sans grande surprise, le lion d’or a récompensé Pauvres Créatures du Grec Yorgos Lanthimos, donné favori par la critique internationale depuis sa projection en début de festival, et qui couronne également la performance d’Emma Stone – l’actrice est proche du président du jury, Damien Chazelle, qui la filmait dans La La Land en 2016. Yorgos Lanthimos, friand de fantaisies conceptuelles (que l’on est en droit de trouver lourdingues) souvent couronnées de succès (à Cannes, prix du jury puis prix du scénario pour The Lobster et Mise à mort du cerf sacré), semble pousser les curseurs d’un cran avec cette fable qui imagine ce qu’il se passerait si une jeune suicidée se retrouvait avec le cerveau de sa fille à naître greffé par un savant fou… gros programme.
Lion d’argent – meilleur réalisateur pour Io Capitano (Moi, capitaine) de Matteo Garrone
Matteo Garrone, autre chouchou des festivals internationaux (deux grands prix à Cannes, notamment), autre cinéaste dont on a souvent trouvé les films trop épais, trop démonstratifs et inutilement surchargés. Avec Io Capitano (Moi, capitaine), l’Italien semble revenir à sa première veine, celle de Gomorra (2008). Pour ce qu’il décrit comme «une odyssée contemporaine», il est parti de témoignages de migrants sénégalais qui lui ont raconté leur périple infernal jusqu’aux rives de l’Europe. A noter que l’acteur Seydou Sarr a également remporté le prix Marcello-Mastroianni du meilleur espoir.
Lion d’argent – grand prix du jury pour Evil Does Not Exist (Le mal n’existe pas) de Ryusuke Hamaguchi
Voilà un cinéaste qui se situe à l’opposé de la tendance que dessine le palmarès (grosses durées, gros sujets, gros moyens). Avec ce film ramassé, conçu au départ comme un court métrage pour accompagner la musique de la compositrice Eiko Ishibashi, Hamaguchi confirme qu’il est l’un des cinéastes les plus passionnants de notre paysage contemporain. Après le symphonique Drive My Car et la petite musique de chambre des Contes du hasard et autres fantaisies, le voici qui se renouvelle à nouveau totalement, troquant la ville contre la forêt, la sophistication contre le rudimentaire et le contemporain contre l’archaïque. Ce qui ne change pas, en revanche, c’est notre émerveillement face à cette simplicité du trait plus perverse qu’il n’y paraît, tout entière logée dans l’intelligence de sa mise en scène.
Prix spécial du jury pour Green Border de Agnieszka Holland
La cinéaste polonaise Agnieszka Holland a filmé en noir et blanc dans Green Border la frontière entre le Bélarus et la Pologne et quelques personnages (une activiste politique, un garde-frontières, une famille syrienne) en combat pour «pouvoir poser des questions parfois insolubles».
Prix du meilleur scénario pour El Conde de Pablo Larraín
Dans El Conde, produit par Netflix et visible dès le 15 septembre sur la plateforme, l’inégal cinéaste chilien Pablo Larraín filme le dictateur Pinochet sous les traits d’un vampire à bout de forces, prêt à se retirer des affaires mais qui doit encore négocier son départ avec ses sbires assoiffés des dernières gouttes de pouvoir.
Coupe Volpi du meilleur acteur pour Peter Sarsgaard dans Memory de Michel Franco
Pour son troisième passage à Venise (il avait remporté le grand prix du jury pour Nouvel Ordre, resté inédit en France sans que l’on y trouve matière à redire), Michel Franco filme un Peter Sarsgaard atteint d’un Alzheimer précoce… une performance peut-être, mais qui ne donne guère envie au vu du pedigree du cinéaste mexicain, adepte de jeux de massacre misanthropes à la morale souvent bien creuse.
Coupe Volpi de la meilleure actrice pour Cailee Spaeny dans Priscilla de Sofia Coppola
On a vu Mia Hansen-Love se lever pour décerner la coupe Volpi à Cailee Spaeny, effectivement grande révélation du très beau film de Sofia Coppola et dont le jeu tout en subtilité n’a pu que séduire la réalisatrice française adepte du less is more. A l’opposé des grandes performances physiques souvent récompensées, la partition de Spaeny, 25 ans, tient sur quelques notes frémissantes, un léger trémolo dans la voix, une façon déchirante de dire «tu me manques» à un mari absent (Elvis Presley, grande ombre cannibale planant sur le film). Sofia Coppola, fascinée par cette fragilité qui ploie mais ne rompt jamais, trouve dans le visage de Cailee Spaeny de quoi renouer avec la beauté évanouie de Virgin Suicides.